143. Forêt de Retz. La Pierre Clouise ou La Légende des Femmes tuées.
Catégorie : Menhir
adresse : Forêt domaniale de Retz époque de construction : Néolithique Propriété de l'état date protection MH : 1889 : classé MH Menhir dit La Pierre-Clouise : classement par liste de 1889 observations : 18 04 1914 (J.O.) type d'étude : Recensement immeubles MH N° notice : PA00115698 © Monuments historiques, 1992 |
La légende des femmes tuées.
Il y a fort longtemps, la Pierre Clouise servait d'habitation à une tribu gauloise. Partis en
guerre, les hommes y laissèrent leurs femmes. Peu de temps après, l'une d'elles vint à mourir. Sa sépulture fut des plus simples; ses compagnes se contentèrent de la déposer sur la pierre.
La forêt était alors très fréquentée par les loups( la forêt de Villers-.Cotterêts fut longtemps appelée
" la forêt aux loups").Rôdant la nuit, les carnivores furent attirés par l'odeur de la chair. Après avoir dévoré le cadavre, ils tentèrent de pénétrer dans le trou où les femmes
se tenaient cachées.
Aux cris poussés par celle-ci, des chasseurs accoururent et mirent les loups en fuite. Un tel service méritait
récompense- surtout que les hommes étaient partis depuis longtemps - et les femmes épousèrent leurs libérateurs.
Cependant, l' expédition gauloise terminée, les maris vainqueurs furent surpris de trouver "le foyer occupé".
Ils comprirent vite ce qui s'était passé, se jetèrent sur les chasseurs qu' ils massacrèrent jusqu'au dernier.Ils punirent les épouses infidèles de la même façon et abandonnèrent leurs corps sur
la pierre, en pâture aux loups...Somme toute, une banale histoire de maris trompés.
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La
"tradition des filles à mariées"
Ce drame ne doit pas nous faire oublier la légende plus romantique qui veut que les jeunes filles qui se
laissent glisser sur la Pierre Clouise trouvent un mari dans l'année.
Peut-être faut-il choisir une nuit, par un beau clair de lune? La tradition ne le précise pas; elle dit
seulement qu'il faut être " vêtu le moins possible".
L'abbé Chollet a été le témoin des fêtes qui se déroulaient à la Pierre Clouise, le premier dimanche de Carême. Il a vu s'y rassembler toute la
jeunesse des alentours, les parents aussi. Danses, amusements préludaient dit-il aux plaisirs du printemps...
"...les plus hardis parmi les jeunes gens, se laissent glisser le long de cette pierre: ils roulent
avec bruit du haut en bas et retombent dans le sable.Malheur à celui qui s'acquitte mal de cette gymnastique! sa maladresse est la risée de tous. Plusieurs y
déchirent leurs mains, leurs vêtements, et quelques-uns y perdent, ou du moins endommagent fort l'étui des pays-bas.
Les jeunes filles elles-mêmes ne sont point exemptes de ce périlleux exercice, de cet apprentissage douloureux. Maintenant dignement leurs jupes
autour des jambes, les jeunes filles "à marier" entreprennent de descendre la roche sur la plante des pieds. Leur épreuve ne doit pas être tentée qu'une seule fois dans l'année et celles qui n'y
réussissent point sont déclarées, par le jury présent, n'être pas propres encore au mariage.
Si leur descente se termine par une roulade, une chute ou par quelque accident, l'heure si vivement attendue de l'hyménée n'a point sonné pour elles.
Il leur faudra recommencer l'exercice périlleux l'année suivante, et qui pourrait assurer qu'elles seront plus heureuses?
Par contre, on prétend qu'une heureuse glissade assure du mariage dans l'année...
(petit clin d'oeil pour celle qui se reconnaîtra.) Pour sûr que cela fonctionne encore; la preuve que
notre mariée a fait une très bonne glissade.Que du bonheur à vous tous.
Pour moi, je renonce à vous dire l'origine de cet usage qui parait immémorial et qui semble se perdre dans la nuit des temps et dans l'ombre des forêts".
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"
L'épreuve de légitimation."
Une autre cérémonie, beaucoup moins connue car rarement mentionnée, devait se célébrer jadis à la Pierre
Clouise: l'épreuve de légitimation.
On sait que l'une des coutumes barbares des anciens Gaulois était, pour le père, de poser, endormi sur un
bouclier, l'enfant né dans les douze dernières lunes précédant l'équinoxe d'été et de confier le tout aux caprices de l'onde sur un parcours d'une dizaine de mètres; si l'enfant arrivait
sans se réveiller ou sans crier jusqu' au terminus où l'attendait sa mère, il était reconnu légitime et ramené sous la hutte avec des transports de joie, sinon il était déclaré bâtard.
Ernest Roch rapporte qu'il a souvent entendu dire les anciens du pays "qu'en faisant glisser sa progéniture sur la Pierre Clouise, on
était tout de suite fixé au point de vue paternel"
Le père François Lorgue, de Largny, disait: "Quante tu voudras savoir si tes jeunes sont d'toi, fous-les su la Pierre Clouise,toi dans le haut, ta femme dans le bas... si leur glissade
s'fait sans qu'y gueulent..y sont d'toi...sinon, bernique..."
Mais le père François,bonhomme, s'empressait d'ajouter: "Seurement! t'entents t'tiot...y a des exceptions..."
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Si trivialement que soient rapportées les traditions et les légendes populaires, il n'y a jamais lieu de les
dédaigner.
Nous avons dit que l'abbé Chollet avait été le témoin des fêtes qui se déroulaient à la Pierre Clouise, le premier
dimanche de Carême.
Dans son" Histoire de Villers-Cotterêts" publiée en 1867, Alexandre Michaux consacre un long chapitre à la
Pierre Clouise, nous parle de ses fêtes et tente d'en retrouver l'origine:
"L'immense grès appelé Pierre Clouise est un vaste monolithe, incliné vers l'orient, dont l'extrémité
inférieure paraît être enfouie profondément dans la terre.
La surface est unie et permet aux jeunes gens de glisser rapidement à cause de l'inclinaison de la pierre. Elle est
située dans une haute futaie où le chêne domine, à mi-côte d'une espèce de vallon, tournée vers l'orient, prés des terres du village d'Haramont(La Pierre Clouise est toutefois située sur le
territoire de la commune de Largny-sur-Automne), et à droite du chemin de Selve, le seul qui, de Villers-Cotterêts, conduisait jadis au monument.
Il n'y a dans ce lieu aucune habitation, et on n'a jamais su qu'il en eut existé. Cependant, chaque année, le
premier dimanche de Carême, on célèbre la fête de la Pierre Clouise.
Quelle est l'origine de cette fête?
Personne n'en sait rien. On continue à la célébrer aujourd'hui parce qu'on l'a toujours célébrée...
Nous avons plusieurs fois visité la pierre Clouise et chaque fois nous avons été frappés par l'imposante majesté du
site: l'énorme pierre, comme un oreiller gigantesque étendu sous le vaste dôme des chênes séculaires, semble placé là pour reposer la tête d'Esus, le terrible, le Seigneur de la forêt que le
druide tremblait de rencontrer sous la voûte des chênes(Lucian,Pharsal lib III,V,425).
Se reportant à vingt-cinq siècles en arrière, on se figure entendre les échos du bois sombre répéter les chants du
barbe, retentir des accents sonores de la langue gaélique ou du langage symbolique des runs.
Le murmure du vent dans les feuillages semble une lointaine psalmodie de la voix du druide. Et, l'imagination aidant,
on voit arriver de toutes parts les braves gaulois, vêtus de la braye (bragata), qui, remplis d'une secrète horreur, se prosternent, humbles et craintifs, devant la prophétesse; et l'on assiste
par l'esprit à une cérémonie religieuse, avec ou sans sacrifice humain, en l'honneur de Camul, le génie des batailles, de Tarann, la personnification de la foudre, ou plutôt de Bel- Heod, le
dieu à chevelure de feu, le soleil aux rayons d'or faisant jaunir le blé et grossir le raisin.
Mais une semblable rêverie, imposée par la poésie de l'endroit, n'est pas une preuve en faveur de l'authenticité du
monument, et cependant à nos yeux, c'est bien là une pierre druidique.
De quel genre? Ce n'est pas un menhir, ou pierre debout, bien qu'elle soit monolithe. Ce n'est pas un dolmen, puisque ce
grés n'est pas horizontal et n'est point supporté par d'autres roches verticales ; on ne peut supposer qu'un des piliers ait été détruit. Est-ce un demi dolmen ? c'est possible, la pierre est
inclinée, une extrémité pose sur le sol et l' autre peut bien être appuyée sur une pierre verticale, quoique aujourd'hui ce support soit invisible.
Est-ce une tombelle? un de ces tombeaux celtiques appelés barrows ou galgals?
Nous pencherions plutôt pour le demi dolmen à cause de l'orientation du grés vers l'aurore, le lever de Bel-Heod,
le Dieu Soleil.
Le nom Clouise possède, lui aussi, un parfum tout à fait gaélique. Son étymologie paraît venir de
druide,druidh,dervild, dryro,drouiz,grouir. De grouiz druide, on a pu faire glouiz en adoucissant l'r. En acceptant ceci, la Pierre Clouise voudrait dire la Pierre du Druide, ce qui serait(on
l'avouerait) une très forte présomption.
Ce n'est pas tout...On sait que chaque année, le "sixiéme jour de la lune, de la derniére lune d'hiver, en février ou
mars"( H.Martin), les druides célébraient une grande fête, la fête du Gui.
Le gui! Seul vert sur les branches dépouillées du chêne, ouvrant comme un éventail ses fleurs nouvelles par touffes
jaunes, présentant seul l'image de la vie au milieu d'une nature stérile et morte(A.Thierry-Histoire des Gaulois), le gui, cette plante par excellence, qui ne prend pas racine en terre, mais dans
l'écorce des arbres, le gui est cueilli alors en grande pompe par la Druidesse vêtue de blanc et armée de la faucille d'or.
Le gui coupé est recueilli avec soin par les Druides qui le mettent dans un bassin d'or plein d'eau. Après les
sacrifices, on distribuait au peuple cette eau lustrale qui était regardée comme un remède souverain contre toutes les maladies, les maléfices et les sortilèges.
Le son de gwid(gui), dit Taliésin, le rameau pur- qui guérit tout - prend une vertu fécondante quand le brasseur
qui préside à la chaudière des cinq plantes l'a fait bouillir.
Ces cinq plantes sont celles du koridwen(ou korrigan) ; le gui passait pour réunir à lui seul les vertus de ces
cinq plantes.
La fête du gui qui, comme nous l'avons vu, se faisait en février ou mars, au commencement de l'année gauloise,
existait dans beaucoup d'autres endroits, bien après l'établissement du christianisme en France. On peut supposer, avec quelque raison, que la fête qui se déroule aujourd'hui à la Pierre Clouise
le premier dimanche de carême est la continuation de la coutume gauloise.
Le premier dimanche de Carême correspond avec le sixième jour de la dernière lune d'hiver, avec le commencement de
l'année gauloise : la fête du gui s'est conservée fort longtemps sans certaines provinces, sous les noms de Guillaneuf, Guilloneu, Aguilanleu, Aiguilette,... et ce, malgré l'opposition fort vive
du clergé, malgré les prohibitions des conciles et des évéques.
Ces fêtes étaient encore tellement suivies à la fin du XVIIIéme siécle, que les ordonnances épiscopales ne pouvaient à
détruire ces cérémonies entées sur le paganisme et qui s'étaient perpétuées avec une si tenace observation.
La fête de la Pierre Clouise est évidemment un dernier vestige du culte druidique. Il n'en peut être autrement. Sans
cela, pourquoi cette fête dans la solitude ? Comment expliquer l'espèce de culte voué à la pierre, la vertu qui lui est attribuée, la légende qu'elle possède ? Rejetez la Pierre Clouise
comme monument druidique, rien ne s'explique, ni l'origine de la fête, ni la fête elle-même, ni le nom de la pierre, ni sa forme, ni sa position. Admettez au contraire le demi-dolmen, et tout
aura son explication claire, simple et vraisemblable.
Notre Pierre Clouise a donc tout ce qui constitue les pierres druidiques : immensité, nom, fête, tradition,
légende.
Que veut-on de plus?
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En 1653, le curé d'Haramont s'élevait contre la célébration des fêtes de la Pierre
Clouise, lesquelles, disait-il, "n'estoient qu'une continuation des meschantes festes payennes abolies par nostre
saincte mére l'Eglise, et que les pratiques singuliéres qui s'y faisoient , garçons et filles d'Haramont et du bourg de Villiers-Costerezt ne pouvaient qu'offenser grandement la bonne et saincte
moralitez."
Malgré les exhortations du brave curé d'haramont, la fête de la Pierre Clouise se perpétua jusque vers le
milieu du siècle dernier. On dansait des rondes sur la mousse, autour de la veille pierre, jusqu'au coucher du soleil. Après quoi, on se rendait, bras dessus, bras dessous, par le chemin de la
Selve jusqu'au village d'Haramont( si la fête de la Pierre Clouise était célébrée par les habitants d'Haramont, il faut signaler que la pierre est située sur le territoire de Largny sur
automne.), et la soirée se terminait généralement par des gibelottes fantastiques!(Rondes et danse étaient conduites par l archet du ménétrier Modeste Lemaire)
La dernière fête de la Pierre Clouise eut lieu le dimanche 3 mars 1867. On tenta bien de la rétablir quelques
années après, mais hélas sans succès.
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Enfin Alexandre Dumas lui-même apporte sa contribution à la légende de la Pierre Clouise.
Dans "Ange Pitou",l' un des ouvrages du cycle romanesque consacré à la révolution, n'y fait-il pas vivre le"
père Clouïs ", dans une cabane adossée au célèbre rocher. Vieux garde mis à la retraite, à qui le Duc d'Orléans, père de Louis-Philippe, avait permis de demeurer dans la forêt, de garder un habit
et de faire un coup de fusil tous les jours sur lièvre ou lapin.
Il avait à l'époque soixante-neuf ans. Il s'était d'abord appelé Clouïs tout simplement, puis le Père Clouïs au
fur et à mesure que l'âge l'avait gagné. De son nom, l'immense pierre à laquelle sa hutte était adossé aurait reçu son baptême: on l'appelait la Pierre Clouise.
Vétéran de Fontenoy, c'était un tireur redoutable qui ne manquait jamais son coup et c'est à lui qu'Ange Pitou
demanda de lui apprendre la tenue, le port du militaire et l'exercice tel qu'on le faisait à l'armée, en douze temps.
Cet enseignement devait lui permettre de former les recrues de la Garde Nationale d'Haramont qu'il avait la
charge de commander...
Texte du llvre de Yves Tardieu, "Le Légendaire de Retz"
éditions du ver
luisant
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La Pierre Clouise. Le pourquoi de ses Morceaux.
Explications de Yves Tardieu.